Nous analyserons certains aspects liés à l’application du Règlement dans certaines situations et comment la jurisprudence a interprété certains points du règlement qui soulèvent des questions. Nous nous attarderons, essentiellement, sur les interprétations retenues par la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »), et évoquerons certains cas retenus par la plus haute cour en France, soit laCour de cassation. Il ne s’agit pas d’une analyse exhaustive, car les cas sont nombreux, mais nous nous tiendrons aux questions les plus fréquentes.
Voici quelques interprétations à l’égard de différentes situations pouvant susciter des ambiguïtés concernant soit l’application du règlement soit la responsabilité du transporteur :
Preuve de présence à bord
La CJUE, dans une ordonnance du 24 octobre 2019 (affaire C-756/18), a tranché cette question en faveur des passagers. La Cour a déterminé que :
les […] passagers d’un vol retardé de 3 heures ou plus à son arrivée et possédant une réservation confirmée ne peuvent pas se voir refuser l’indemnisation […] au seul motif que, à l’occasion de leur demande d’indemnisation, ils n’ont pas prouvé leur présence à l’enregistrement pour ledit vol.
S’ils n’ont pas été transportés, il appartient à la compagnie aérienne de le démontrer.
De plus, les juridictions nationales des pays membres de l’Union européenne ont admis que les passagers ne disposant pas de carte d’embarquement peuvent prouver leur présence à bord à l’aide d’un “faisceau d’indices”.
En voici quelques exemples :
- La copie de tickets de caisse d’achat à l’aéroport ;
- La copie d’étiquettes bagage ;
- Photos prises dans la zone d’embarquement.
Indemnisation pour retard ou annulation
Distance du vol
L’indemnisation est fixée par le règlement selon la distance du vol, comme l’explique la capsule « Droit à l’indemnisation ». Cette distance est calculée entre le point de départ initial et le point final selon la distance à vol d’oiseau, et ce, peu importe la distance réellement parcourue.
L’ambiguïté qui existait sur ce point avait été réglée par la CJUE dans sa décision Birgit Bossen v Brussels Airlines SA/NV (C-559/16), du 7 septembre 2017.
Retard, annulation ou refus d’embarquement ?
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Correspondances
LA CJUE du 11 juillet 2019, CS e.a. c/ České aerolinie a.s. (aff. C-502/18), a confirmé qu’il n’est pas possible pour le transporteur ayant effectué le premier vol de s’exonérer en affirmant que le retard subi est dû au vol ultérieur opéré par un autre transporteur aérien.
En effet, dans cette décision, la compagnie tchèque (européenne) avait effectué le premier vol et une compagnie non européenne avait assuré le deuxième vol. Le passager avait subi un retard de plus de 3 heures sur le deuxième vol, voit sa demande d’indemnisation refusée par la compagnie tchèque, sous prétexte que son vol n’avait accusé aucun retard. Or, les deux vols étaient la même réservation. La Cour est venue indiquer que la compagnie tchèque avait l’obligation d’indemniser le passager, car les deux vols étaient sur la même réservation. Le passager s’était à bon droit adressé à la compagnie européenne pour obtenir l’indemnité, même si le vol retardé était opéré par une compagnie non européenne (voir aussi CJUE, 31 mai 2018, Claudia WEGENER c/ Royal Air Maroc SA (aff. C-537/17).
Ainsi, une réservation unique comprenant plusieurs correspondances est soumise à l’application du Règlement, même si plusieurs vols sont opérés par plusieurs compagnies, qu’elles soient européennes ou pas. Dès que les critères d’applicabilité du Règlement sont remplis, ledit règlement s’applique à tous les segments de vols.
La question des « wet lease » et la notion de « transporteur effectif »
Lorsqu’une compagnie aérienne débute une nouvelle route ou manque d’avion en période de pointe, il arrive que cette dernière décide de louer un avion, un équipage complet, l’entretien et l’assurance à une autre compagnie aérienne. Les coûts opérationnels et les frais seront imputables à la compagnie aérienne qui loue.
En ce qui concerne la responsabilité des transporteurs respectifs, la Cour a conclu que le règlement ne s’appliquera pas au transporteur qui donne en location un appareil et l’équipage dans le cadre d’un tel contrat, puisqu’elle n’assume pas la responsabilité opérationnelle des vols. La fixation de l’itinéraire ainsi que la réalisation du vol sont décidées par le transporteur locataire. Par conséquent, ce n’est que ce dernier qui peut être tenu responsable d’une éventuelle indemnisation.
C’est ainsi que la CJUE a tranché, le 4 juillet 2018 dans W. W., T. M., R. M., G. W. c/ Thomson Airways Ltd, (aff. C-532/17). C’est toujours le transporteur réel qui assure le vol (a le contrôle sur l’itinéraire et l’horaire) qui est responsable des obligations prévues par le Règlement à l’égard des passagers.
La double indemnisation : l’agence de voyages et le voyage à forfait
L’agence de voyages est responsable, à l’égard du client, de la bonne exécution du contrat lorsqu’elle vend un forfait (vol et hôtel ou location de véhicule). Elle est donc responsable de l’indemnisation du passager en cas de vol retardé, annulé, ou de refus d’embarquement.
En cas de faillite d’une compagnie aérienne, la compagnie ne sera jamais en mesure d’indemniser les clients. Si les passagers ont réservé le vol dans le cadre d’un forfait, l’agence de voyages aura l’obligation de rembourser les billets et d’indemniser les passagers.
Dans le cas de voyages à forfait, l’existence d’un droit au remboursement en vertu de la directive (UE) n° 2015/2302 sur les voyages à forfaits suffit pour exclure la possibilité pour un passager d’obtenir auprès du transporteur le remboursement de son billet. En effet, les droits au remboursement ne sont pas cumulables. Il incombera à l’agence de voyages d’assurer l’indemnisation du passager. Cette analyse ressort, notamment, de la décision CJUE, 10 juillet 2019, HQ c/Aegean Airlines (aff. C-163/18).
Changement d’horaire
Lorsqu’il y a un changement d’horaire, comme un changement d’heure de départ d’un vol ou une annulation, l’indemnisation accordée peut dépendre du moment où le passager en a eu connaissance. Or, cette obligation incombe seulement au transporteur effectif, et ce, aussi bien pour les contrats de transport conclus directement entre le passager et le transporteur aérien que pour les contrats conclus par l’entremise d’une agence de voyages en ligne.
Par exemple, si la compagnie a informé simplement l’agence de voyages et n’est pas en mesure de prouver qu’un passager a été informé de l’annulation de son vol plus de deux semaines avant l’heure de départ prévu, elle est tenue de l’indemniser. Cette lecture découle de la décision CJUE, 11 mai 2017, Bas Jacob Adriaan Krijgsman c/ Surinaamse Luchtvaart Maatschappij NV (aff. C‑302/16).
Surclassement et déclassement
Lorsque la compagnie aérienne attribut au passager un vol de remplacement en raison d’une perturbation, cette dernière doit lui offrir un service et une classe comparable à celui de son titre de transport initial. Or, s’il s’avère qu’il y a un surclassement ou un déclassement qui est nécessaire, certaines modalités s’appliquent.
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Surclassement |
Déclassement |
| Le transporteur ne peut pas réclamer de supplément. | Le transporteur aérien a l’obligation de rembourser :
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Circonstances extraordinaires
Notre page sur l’exonération mentionne qu’il est seulement possible pour la compagnie aérienne de s’exonérer de sa responsabilité si la perturbation est due à une circonstance extraordinaire qui n’aurait pas pu être évitée même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.
Voici quelques exemples retenus par la jurisprudence (CJUE ou juridictions nationales) :
Avion foudroyé avant le départ
La Cour de cassation a rendu une décision concernant un aéronef ayant été foudroyé lorsqu’il était toujours stationné. À la suite d’une inspection par des ingénieurs aéronautiques, l’aéronef ne remplissait plus les conditions de sécurité minimales. La compagnie aérienne a pris la décision d’envoyer un avion de remplacement, mais un retard de plus de 3 heures a tout de même été enregistré.
La Cour précise que cette situation correspond à une circonstance extraordinaire, puisque la compagnie aérienne ne pouvait manifestement pas prévenir la perturbation même si elle avait pris des mesures raisonnables (Cour de cassation, 1e chambre civile, 12 septembre 2018, n°17-11.361).
Grève sauvage du personnel
Il est possible pour la compagnie aérienne de s’exonérer de sa responsabilité si les mesures ne sont pas inhérentes à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien.
La Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision concernant un arrêt de maladie de l’ensemble des employés d’une compagnie aérienne à la suite d’une annonce de restructuration.
La Cour affirme qu’une “grève sauvage” du personnel navigant décidée à la suite de l’annonce surprise d’une restructuration ne constitue pas une circonstance extraordinaire permettant à la compagnie aérienne de se libérer de son obligation d’indemnisation. La Cour précise que les risques résultant des conséquences sociales qui accompagnent de telles mesures doivent être considérés comme inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné (CJUE, 17 avril 2018, Helga Krüsemann e.a./TUIfly GmbH, affaires jointes C-195/17, C-197/17 à C-203/17, C-226/17, C-228/17, C-254/17, C-274/17, C-275/17, C-278/17 à C-286/17, C-290/17 à C-292/17).
Présence d’essence sur la piste
Une autre décision (C‑159/18, André Moens V.Ryanair Ltd), traitant de la responsabilité du transporteur a conclu que la présence d’essence sur une piste d’un aéroport ayant entraîné la fermeture de celle-ci est considérée comme une circonstance extraordinaire, et ce, lorsque l’essence en cause ne provient pas d’un aéronef du transporteur ayant effectué ce vol.
Effectivement, cette circonstance n’aurait pas pu être évitée même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises au sens du règlement.
Enfin, il est possible de conclure qu’il existe une vaste possibilité de situation pouvant affecter négativement une planification de vol. Il est alors nécessaire d’effectuer un exercice d’analyser avec attention et rigueur pour chacune d’entre-elles au cas par cas, puisque chaque perturbation possède des circonstances qui lui sont uniques. Le défaut d’effectuer une telle analyse pourrait faire perdre le droit à une indemnisation pour le passager ayant été victime d’une perturbation.
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