Alors que vous surfez le net, vous apercevez un énorme spécial concernant un produit que vous convoitez depuis longtemps. Vous l’ajoutez à votre panier et passez immédiatement à la prochaine étape afin de profiter de cette aubaine avant qu’il ne soit trop tard.
Cependant, alors que vous vous apprêtez à payer, vous vous rendez compte que le prix maintenant exigé à la caisse a presque doublé suite à de nombreux frais d’administration et de manutention qui se sont ajoutés. Vous êtes surpris et déçu de vous rendre compte que le prix initial n’était définitivement pas réaliste considérant tous ces frais additionnels non optionnels, mais vous vous résignez quand même à acheter le tout.
Alors que vous entrez vos informations bancaires, vous vous demandez : « Ce commerçant avait-il le droit de dissimuler ainsi le prix réel derrière tous ces frais cachés? »
Cette capsule tentera de démystifier le droit applicable en l’espèce.
Les sources juridiques
La loi sur la protection du consommateur (ci-après L.p.c.) s’est toujours efforcée de tenir en échec les grandes compagnies qui voudraient employer des techniques malhonnêtes afin d’augmenter leurs ventes.
Le législateur prévoit depuis longtemps à l’article 224 de la L.p.c.. que:
Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit:
c) exiger pour un bien ou un service un prix supérieur à celui qui est annoncé. »
Cependant, malgré cet article, certaines compagnies avaient développé la pratique d’afficher des produits à un prix dérisoire afin d’attirer le consommateur, mais lorsque l’on voulait passer à la caisse, d’énormes frais cachés s’ajoutaient. Cette pratique était si abusive que ces frais pouvaient quadrupler, voire quintupler le prix qu’il fallait réellement payer dans certains types de transactions, comme l’achat de billet d’avion.
Le 30 juin 2010, la L.p.c. fut donc amendée par le législateur et ces modifications incluaient l’addition d’un deuxième alinéa à l’article 224 qui prévoit maintenant ceci :
Aux fins du paragraphe c du premier alinéa, le prix annoncé doit comprendre le total des sommes que le consommateur devra débourser pour l’obtention du bien ou du service. Toutefois, ce prix peut ne pas comprendre la taxe de vente du Québec ni la taxe sur les produits et services du Canada. Le prix annoncé doit ressortir de façon plus évidente que les sommes dont il est composé.
Afin de comprendre la portée et l’objectif de cet ajout, il est intéressant de lire un extrait de ce dossier de la Cour d’appel qui a particulièrement marqué le droit entourant cet article :
Le but est clair et les débats parlementaires indiquent aussi que c’est la pratique de la décomposition du prix que l’on veut contrer, en forçant le commerçant à annoncer dès le départ le bon prix et à mettre fin à la pratique d’ajouter des frais, souvent indiqués en petits caractères, au moment de passer à la caisse. Le but est de permettre au consommateur de comparer adéquatement le prix des biens qu’il achète.
Il est important de noter que la notion de prix annoncé prévu à cet article est très large, et inclut donc à la fois ce qui est sur le site transactionnel des compagnies, les publicités en ligne ou sur papier, ainsi que tout autre prix affiché grâce à de nombreuses autres techniques publicitaires.
Il est aussi intéressant de se pencher sur des exemples concrets afin de voir la portée de cette interdiction. Par exemple, la doctrine nous apprend que cet article fait en sorte que:
dans les publicités sur les automobiles, les prix indiqués doivent donc comprendre les frais de transport et de préparation, la taxe d’accise sur le climatiseur, les droits sur les pneus et les autres frais d’administration.
Du côté de la jurisprudence, Airbnb a déjà accepté de rembourser une partie des frais d’administration qui s’ajoutaient à la fin d’une transaction sur leur site. Bien que Airbnb nie avoir enfreint la loi, il est évident que la pratique d’inclure de tels frais à la fin d’une transaction est fortement critiquée par les juristes québécois et semble maintenant être considérée comme étant illégale.
Finalement, le dossier Union des consommateurs c. Air Canada, déjà mentionné précédemment, mérite d’être approfondi. Dans ce dossier, une action collective fut accordée contre Air Canada puisqu’elle ajoutait régulièrement des frais cachés qui augmentaient fortement les factures.
Par exemple, le recours du représentant se basait sur le fait qu’à l’achat de deux billets d’avion pour un total de 298.00$ se sont ajoutés 124.46$ de « Taxes, fees, charges and surcharges ». Non seulement ce dossier est marquant, puisqu’il est un exemple flagrant de ce que le législateur voulait rendre illégal, mais la Cour apporte également une précision sur le droit applicable.
En effet, la Cour d’appel rappelle que même si Air Canada n’induisait pas en erreur le consommateur, cela ne pouvait pas empêcher la poursuite, car l’évaluation de la l’article 224 c) L.p.c. est objective et il ne faut pas regarder si le consommateur a été floué.
En effet, Air Canada affichait sur son site l’avertissement suivant :
All fares displayed on this page are in Canadian dollars, per person for each way of travel, and do not include taxes, fees or some other charges. Learn more…
Toutefois, malgré ces avertissements, la Cour donna l’autorisation pour le recours de continuer, car ce n’est pas la fausse représentation qui est la source du recours, mais bien la fragmentation de prix en elle-même. Ainsi, dès la première étape, une compagnie doit afficher le prix total incluant tout ce qui doit être payé, malgré tout avertissement possiblement affiché préalablement.
Finalement, dans le dossier Gagnon c. Bérard Autos Choix inc., la Cour reconnait la responsabilité d’un concessionnaire qui exigeait des frais supplémentaires afin de pouvoir payer en crédit. Cette pratique fut reconnue comme étant l’ajout de frais cachés par la Cour, et il est important de noter que cela était le cas même si Bérard Autos Choix inc. ne profitait nullement des prix ajoutés, puisque c’était les compagnies de crédit qui recevait l’argent supplémentaire exigé. Ainsi, la Cour confirme que même si les frais supplémentaires découlent d’une compagnie tierce, ceci n’est pas une défense adéquate et la compagnie ayant affiché le prix initial sera donc retenue responsable.
Les défenses possibles
Bien que le régime de protection prévu à l’article 224 c) L.p.c. peut sembler très extensif, il est important de noter qu’il existe tout de même certaines limites à sa portée. Premièrement, afin que la L.p.c. puisse s’appliquer, le contrat doit lier un consommateur et un commerçant dans le cours des activités de son commerce.
Dans cette définition, un consommateur est une personne physique qui n’est pas un commerçant et qui se procure un bien ou un service. Ainsi, toute personne qui se procure un bien ou un service pour son propre compte auprès d’une entreprise a de très bonnes chances de se situer à l’intérieur de la définition de la L.p.c.. Toutefois, si vous êtes une entreprise, la protection contre les frais cachés de la L.p.c. ne s’appliquera pas.
Une autre limite législative prévue est le fait que certains frais font exception et n’ont pas besoin d’être affichés avant de passer à la caisse. Tel est le cas des taxes et des droits exigibles en vertu d’une loi fédérale ou provinciale lorsque, en vertu de cette loi, ces droits doivent être perçus directement du consommateur pour être remis à une autorité publique, le tout conformément à l’article 91.8 du Règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur.
Une autre défense possible est que les frais additionnels n’étaient pas cachés, puisqu’ils découlent d’un service additionnel ne concernant pas le premier prix affiché. Or, il s’agit d’une défense controversée.
Cette défense fut par exemple présentée dans un dossier de 2015, dans lequel une compagnie argumentait qu’il était légal pour elle d’exiger des frais de 0.75$ pour l’utilisation d’une carte de crédit, puisqu’il s’agissait d’un service distinct. Or, la juge arriva à la conclusion que cette défense ne s’appliquait pas en l’espèce, puisqu’un mode alternatif de paiement comme une carte de crédit n’est pas un service distinct. Cependant, bien que cette défense ait connu peu de réussite dans la jurisprudence, nous souhaitons souligner que si les frais supplémentaires affichés sont optionnels, il est fort possible que cela fasse échec à votre recours.
Finalement, bien que la portée de diligence raisonnable soit nébuleuse dans l’application de l’article 224 c) L.p.c., cette défense demeure applicable dans ce type de poursuite. En effet, dans un certain dossier, une agence de voyages utilisait un site de réservation d’un tiers qui était sujet à des fluctuations de prix imprévisibles, en raison de la disponibilité changeante de différents types de billets.
Dans ce dossier, la Cour a conclu que bien que ces changements de prix violaient en effet l’article 224 c) L.p.c., la responsabilité de l’agence ne pouvait être entrainée, puisque la firme de voyage avait pris toutes les précautions raisonnables afin d’avertir le consommateur qu’elle n’avait aucun contrôle sur la plateforme et qu’elle ne pouvait pas effectuer de modifications afin d’être en conformité avec la loi.
En conclusion, l’article 224 c) L.p.c. et le nouvel amendement de 2010 de cette loi ont grandement augmenté les protections des consommateurs face à des frais additionnels non prévus dans un prix initialement affiché.
Si vous croyez que vos droits ne sont pas respectés, il y a de fortes chances que vous ne soyez pas seul dans votre situation. N’hésitez pas à nous contacter afin de connaitre vos options.