La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) instaure un régime d’indemnisation « no fault », où les travailleurs blessés au travail sont automatiquement indemnisés sans avoir à prouver la faute de l’employeur ou du travailleur. L’accident doit être un événement imprévu et soudain lié au travail pour bénéficier de ce régime. Le travailleur blessé est alors victime d’une lésion professionnelle. Ainsi, un travailleur peut être indemnisé par la CNESST même si l’accident est de sa propre faute ou sans avoir à prouver la responsabilité de l’employeur ou d’un collègue.

Exception à l’indemnisation
Il y a toutefois une exception au régime d’indemnisation : si une blessure ou maladie résulte uniquement de la négligence grossière et volontaire du travailleur, elle ne sera pas reconnue comme lésion professionnelle, sauf en cas de décès ou de lésion permanente grave. Dans ces cas, l’employeur peut demander le refus de la réclamation.
Cette exception se trouve à l’article 27 de la LATMP, qui se lit comme suit :
Une blessure ou une maladie qui survient uniquement à cause de la négligence grossière et volontaire du travailleur qui en est victime n’est pas une lésion professionnelle, à moins qu’elle entraîne le décès du travailleur ou qu’elle lui cause une atteinte permanente grave à son intégrité physique ou psychique.
Ainsi, pour pouvoir appliquer cet article, il faut que les 3 critères suivants soient réunis :
- Le travailleur a fait preuve de négligence grossière et volontaire;
- Cette négligence grossière et volontaire est la seule cause de la lésion;
- La lésion n’a ni entraîné la mort du travailleur ni causé une atteinte permanente grave à son intégrité.
La notion de « négligence grossière et volontaire »
Pour qu’un comportement soit qualifié de négligent selon l’article 27, il doit être volontaire, téméraire et montrer une insouciance excessive envers la sécurité personnelle du travailleur. La notion de « négligence grossière et volontaire », définie par la jurisprudence et non par la loi, implique donc un acte volontaire avec une insouciance ou témérité extrême concernant la sécurité du travailleur, allant au-delà d’une simple imprudence ou erreur de jugement (par exemple dans le contexte d’un réflexe entraînant une situation qui mène à une lésion).
Exemples où le Tribunal reconnaît une négligence grossière et volontaire du travailleur
L’examen de la jurisprudence révèle que l’article 27 est appliqué avec parcimonie en faveur de l’employeur.
Parmi les exemples où le Tribunal reconnaît une négligence grossière et volontaire du travailleur, citons notamment les suivants :
- Un travailleur se blesse alors qu’il occupe un poste malgré des limitations fonctionnelles qui devraient normalement l’en empêcher. Dans un domaine comme la construction, ces limitations physiques augmentent considérablement le risque de blessures graves.
- Un travailleur dans une usine de transformation de volailles se blesse en essayant de débloquer un morceau de viande dans une machine avec sa main. Bien qu’il ait reçu toute la formation nécessaire et devait respecter les règles de sécurité établies par l’employeur, il ne l’a pas fait.
- Une travailleuse néglige de suivre la procédure de cadenassage et décide volontairement de retirer un morceau coincé dans une machine sans l’arrêter, en utilisant un morceau de bois pour contourner le système de sécurité. Elle avait reçu plusieurs rappels concernant les règles de sécurité avant l’accident. Il est toutefois important de noter que le non-respect d’une règle de sécurité ne constitue pas automatiquement une négligence grossière et volontaire.
- Un enseignant au secondaire se blesse lors d’une sortie en plein air avec des élèves adolescents, en sautant délibérément d’une butte plus haute que lui lors d’une promenade en raquettes. Une vidéo montre qu’il se prépare volontairement à sauter, encouragé par les étudiants, sans être poussé ou avoir trébuché.
- Dans un moment de colère intense après une discussion avec son contremaître concernant un chariot élévateur, le travailleur frappe violemment et sans précaution un rouleau de papier, ce qui entraîne une fracture de sa main. Ce geste constitue une négligence grossière, car il a agi avec violence et sans considération pour sa propre sécurité. De plus, c’était un acte volontaire de défoulement.
- Le travailleur a délibérément repris son travail de carreleur malgré ses antécédents de dermite allergique aux deux mains, averti des risques liés au contact avec le chromate. Sa dermite allergique est donc ré-apparue suite à la reprise de cet emploi. Ce choix constitue une négligence grossière et volontaire, car il a sciemment ignoré ses limitations fonctionnelles et les a exposées à un danger connu.
- En état d’ébriété, un travailleur quitte son lieu de travail en voiture pour aller manger et heurte un poteau de ciment. Cette conduite constitue un exemple flagrant de négligence grossière et volontaire, car il a délibérément pris le volant en étant conscient de son état.
- Un travailleur choisit de sauter délibérément depuis une plateforme de camion, haute de six pieds, malgré la disponibilité d’une échelle.
Ces exemples démontrent que, pour assurer la sécurité des travailleurs, l’employeur doit fournir une formation à l’embauche et rappeler régulièrement les règles de sécurité. Il est essentiel pour l’employeur de documenter ces formations et rappels pour préserver la preuve en cas de litige, notamment lorsqu’il s’agit d’emplois physiquement exigeants où il est légitime pour l’employeur de vérifier la condition physique des candidats, y compris les limitations fonctionnelles.
Exemples où le Tribunal ne reconnaît pas une négligence grossière et volontaire du travailleur
Quant aux situations où la négligence grossière et volontaire du travailleur n’a pas été retenue par le Tribunal, voici quelques exemples :
- En conduisant une auto-patrouille, le travailleur a échappé sa cigarette, détaché sa ceinture sans immobiliser le véhicule, et perdu le contrôle, heurtant un poteau. Bien qu’il admette sa négligence en n’arrêtant pas le véhicule, la blessure ne peut être attribuée uniquement à sa négligence grossière et volontaire.
- Omettre de porter une ceinture de sécurité en conduisant à 60 km/h dans une zone de 50 km/h ne suffit pas à priver le travailleur de son droit à une indemnisation, car ce comportement ne constitue pas un acte de témérité ou d’insouciance extrême envers sa sécurité.
- Pendant une fouille de détenu, un agent de services correctionnels a utilisé des termes offensants (« enfant de chienne »), puis a été attaqué par le détenu. Bien que les paroles utilisées par le travailleur soient clairement une négligence grossière, leur contexte indique qu’il s’agissait plus d’un réflexe que d’un geste volontaire.
- Un travailleur choisit de monter sur un escabeau du mauvais côté, en utilisant les « montants » au lieu des marches prévues à cet effet.
- Tout geste posé par réflexe par un travailleur, alors qu’il fait face à une situation d’urgence.
Donc, si votre employeur ou la CNESST vous tiennent pour responsable de votre accident, il est important de savoir que les critères pour vous exclure du régime d’indemnisation sont strictes.
En conclusion, lorsqu’un travailleur ne respecte pas une politique ou une procédure en matière de santé et sécurité au travail, cela peut entraîner des mesures disciplinaires, mais cela ne signifie pas automatiquement que son manque de prudence équivaut à de la négligence grossière et volontaire. Ainsi, les coûts de l’accident qui en résulteraient seraient alors imputés à l’employeur.
Si vous faites face à une décision défavorable de la CNESST, n’hésitez pas à faire appel à notre équipe spécialisée en santé et sécurité au travail pour contester cette décision. Contactez-nous sans tarder.


